Questions Philosophiques

Une interview d'Aubin Sahallor

 

Est-ce que cette pratique du rêve lucide, du point de vue de la liberté qui est toujours déjà la notre profondément, ne charrie pas avec elle des illusions. L'illusion qu'il y aurait quelque chose à atteindre grâce à ces moyens d'induire le rêve lucide, grâce à ce que l'on pourrait expérimenter dans les rêves lucides ? L'illusion que l'on passe à côté de quelque chose en ne rêvant pas consciemment ?

Ce qui est proposé ici est avant tout une célébration et une exploration de la joie de l'imaginaire, de l'imagination libre et pure, à travers cette possibilité étonnante qu'est le rêve lucide. Rien à atteindre donc, et surtout pas l'idée que l'on va être demain, plus tard, grace à ce que l'on fait aujourd'hui, maintenanti. Rien à atteindre sur l'essentiel que nous sommes déjà, pas d'angoisse d'échec sur le fait de réussir ou pas à être (rires!) ! Jouir consciemment de l'imaginaire et des facultés de l'esprit peut être comparé au fait de surfer de belles vagues. Vous êtes sur la plage, allongé sur sable et vous contemplez ces vagues. Vous pouvez avoir le désir de les surfer ou bien de faire autre chose, cela n'a aucune importance pour ce qui est du fait que vous êtes conscience, déjà, depuis toujours.

En quoi est-ce une pratique spirituelle ?

Dans l'expression pratique spirituelle il y a esprit et l'esprit commence avec la conscience vivante du miracle absolu de cette donnée immédiate qui donne l'impression de faire partie des meubles et qui est la conscience simple et directe que nous avons d'être conscient, que nous avons de nous-même !
Encore une fois, il n'y a rien à atteindre. On s'exerce au rêve lucide pour la joie, et l'exercice dans son essence est satisfaisant parce qu'il mobilise notre faculté d'attention dont on peut découvrir que l'exercer consciemment, intensément et ludiquement est source de joie. On découvre aussi que la faculté d'attention s'origine, jaillit d'une non-chose qui est le pur sujet conscient que nous sommes et qui est le mystère d'être en personne ! (rires).

S'exercer à rêver consciemment, à vivre lucidement le rêve nocturne n'est pas anodin dans le sens où cela implique, induit,et ce très naturellement, un élargissement de notre sens de l'identité, une conscience plus vivante de nous même et de la limitation que représente nos savoirs et la définition que nous avons de nous-même. . L'art du rêve lucide est un art de la présence, de la coïncidence avec l'évidence conscience que nous sommes et c'est un donc aussi un art de jouir, c'est à dire que goûter, de savourer, d'expérimenter consciemment ce qui nous est donné à vivre en terme d'expérience immédiate. Et parce que c'est un art de la présence, un art de jouir, un art de vivre en quelque sorte, c'est aussi un art de mourir. Mourir à nos identifications, aux définitions que nous avons de nous même et à la réduction de notre propre essence à ses attributs. En fait, nous pouvons être amené à vivre une sorte d'expansion et d'élargissement de notre sens de l'identité, un peu plus de disponibilité, de capacité d'acceuil à ce qui est.

Et puis, pour finir de répondre à votre question on peut parler de dimension spiritutelle parce qu'avec le phénomène du rêve, dans toute sa diversité, on est de plein pied dans la dimension de l'intériorité qui est autonome et non dépendante de la vie terrestre.

Bien sûr, on peut toujours dire après que la vie de l'esprit est une illusion et qu'un individu sensé ne peut être que matérialiste. Mais que serait la matière sans celui qui a conscience de l'existence de la matière et qui choisit de se mettre à genoux devant elle.

Que voulez-vous dire que vous dites que le yoga de l'état de rêve, cette autre façon de vivre le rêve nocturne est un art de la présence, de la présence dans le quotidien si je comprends bien ?

Oui, il s'agit bien de la présence dans le quotidien terrestre. Vous êtes dans le bus, vous êtes bien présent, avec une bonne acuité sensorielle. Vous êtes présent à vous-même en tant que conscience c'est à dire en tant que main qui sous-tend dans l'existence tout ce qui se manifeste dans l'instant. Soudain le bus et tout le reste s'engloutit en vous en tant que pur sujet conscient. Tout le spectacle de ces gens dans le bus devient passionnant, mieux qu'un bon film au cinéma ! Tout devient émouvant en quelque sorte. Cette main gracieuse de jeune fille qui tient la poignée de bus suscite un émerveillement, ou bien cet homme plutôt laid et nauséabond qui ne vous sourit même pas en vous regardant d'un drôle d'oeil vous découvrez qu'il est tout imprégné de la lumière du miracle infini de la conscienc et que la conscience c'est vous-même. La scène prend une saveur plus ou moins intense, et elle est source d'un contentement profond. L'instant est perçu comme une oeuvre d'art. Que pourriez-vous vouloir de plus que ce qui est en train de se produire dans le bus bondé maintenant ? Tous ces gens, tout ces corps, qui sont apparus dans l'infinité inimaginable du temps et de l'espace, qui ont une histoire humaine et psychologique, qui disent tous "c'est MOI !" lorsqu'ils répondent au parlophone de leur immeuble pour qu'on leur ouvre la porte. Un étonnement légér, joyeux, teinté de la saveur de l'humour et de l'étrange, fonctionnel mais insouciant : c'est la présence sincère à soi et au monde.
Percevoir le présent enchanté dans toute sa fraîcheur éblouissante, au delà de tous les savoirs, de toutes les certitudes, de toutes les parasitages de la faculté d'éprouver directement les êtres et les choses, c'est vivre le quotidien terrestre avec cette légereté, cette luminosité caractéristique des rêves nocturnes. Le rêve nocturne quant à lui offrant certaines possibilités supplémentaires avec le corps de rêve qui a moins de limitations que le corps physique.

Vous parlez souvent de saisir le champ visuel dans sa globalité, qu'est ce que cela veut dire ?

Cela veut dire se réapproprier l'ensemble des sensations lumineuses colorées que l'on appelle le monde !
Si nous nous exerçons à voir le champ visuel pour ce qu'il est, l'oeuvre d'art d'un grand impressioniste, un tour de passe passe inouï sur arrière-plan superlumineux et ultramystérieux, ou pour ceux qui croient au cerveau un hologramme crée par lui, alors, à nouveau on accède à la saveur, à l'enchantement, à la légerété. Tout cela est très proche du bonheur perceptif de l'enfance. Souvenez vous de vos promenades, enfant, les après-midi d'été (rires) !
Voir le champ visuel comme une unité saisie panoramiquement dans toute sa splendeur magique et irréelle ou surréelle si vous préférez. Comme une carte postale de l'éternel présent hyperactuel.
Le champ visuel est un miracle qui ne va pas de soi, tout comme le rêve nocturne est un autre miracle qui ne va de soi. Il y a un passage de ce texte indien admirable qui s'appelle "La Doctrine Secrète de la Déesse Tripura" que j'aime bien. Je l'ai sous la main, je vous le lis : "Inverse la direction de ton regard et contemple la pensée pure, ton propre Soi. Les meilleurs esprits parviennent à la saisir au moment même où on les instruit à son sujet. Mais le regard dont il est question ici n'est pas celui de l'oeil de chair, mais le regard intérieur par lequel tu vois dans tes rêves. C'est lui qu'il s'agit de tourner vers l'intérieur, vers sa source. Sans une telle conversion, il n'est pas possible de voir quoi que ce soit."

Vous dites souvent que l'apprentisage et l'exploration du rêve lucide, du yoga de l'état de rêve, conduit à rendre très vivantes et "tangibles" un certain nombre d'interrogations métaphysiques fondamentales. Quelles sont-elles ?


La grande interrogation qui jaillit du coeur avec sa réponse non conceptuelle c'est bien sûr "QUI RÊVE ?", "Qu'elle est l'ultime source qui élabore et qui crée le rêve ?". Et puis ensuite on ne peut manquer de se poser des questions sur le temps et sa flèche, l'espace, l'identité, la subjectivité, l'intersubjectivité, la mort, entre autres sujets ! Ce qui est intéressant de signaler c'est que ces interrogations qui peuvent être très fines, très pertinentes en terme de questions que l'on se met à se formuler à soi-même et dont les réponses se dessinent grâce à la médiation du canal intuitif, sont très vivantes, source de joies, d'étonnements, de contentement réels. Elles émergent presque systèmatiquement, avec leurs réponses sous forme d'ouverture intuitives comme je vous l'ai dit, chez les personnes qui s'adonne sérieusement - ce qui n'empêche pas la joie et la légereté d'ailleurs - au yoga de l'état de rêve.

 


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